dimanche 26 avril 2020

Le temps - recommencer à écrire


Ça fait 5 ans. 

Ça fait 5 ans que je n'ai rien publié dans ce blogue. Pas certain aujourd'hui de me rappeler pourquoi je l'avais mis de côté. Pourtant écrire a toujours été quelque chose que j'ai apprécié et qui m'a fait du bien.

Par manque de temps? d'inspiration?

Le confinement auquel on fait tous face a ça de bon qu'il nous libère du temps, des moments avec nous-mêmes. L'humain a horreur du vide, mais nous voilà limités dans nos options pour le combler.

Limités? 

Vraiment?

Les automatismes routiniers qui meublaient nos journées sont chamboulés en temps de confinement. La routine bousculée suscite des réflexions. 

Mais pourquoi ces réflexions étaient-elles si rares auparavant?
Trop peu de remise en question. Pas assez de recul. Trop peu de pauses dans ce quotidien où l’impression de courir sans jamais vraiment atteindre le fil d’arrivée est devenu la norme. 

Pas le temps.


Prendre son temps est un concept savant et sage mais peu appliqué. Tout va très vite. Trop vite. 

Cette crise serait-elle une opportunité incroyable? Combien ont fait du pain pour la première fois, se rendant compte qu'en l'achetant au marché, l'odeur qui embaume la maison n'était pas incluse? Combien se sont remis à la marche, à jouer de la guitare, ou encore à préparer des semences pour le potager?

***

Je suis retourné à mon condo en rénovation, dont le chantier est en arrêt depuis le début de la crise. Je me suis posé sur une chaise au soleil, sur ma terrasse sur le toit. 

Dans d'autres circonstances, j’aurais tout nettoyé, préparé la terrasse afin de recevoir des amis, je me serais dépêché à vouloir en faire le maximum pour éventuellement pouvoir en profiter une heure ou deux. 

Certes j’aurais été satisfait de mon accomplissement, mais aurais-je réellement apprécié le fond de l’air légèrement frais qui caresse la peau au soleil? Me serais-je attardé à écouter le chant des oiseaux qui gazouillent en cette saison de nidification? Les nuages fins à l’horizon m’auraient-ils fait penser à une touche de lait dans un café onctueux? 

Beaucoup trop à accomplir. Pas le temps.

Ce à quoi on accorde de l’importance est très personnel. Ce qui nous fait du bien est propre à chacun. Pour ma part, je me suis permis de laisser mon esprit dériver. Parce que parfois, lâcher le gouvernail mène le bateau dans des contrées insoupçonnées.

Pendant qu’une abeille volait autour, semblant encore un peu endormie, l’air a soudainement déplacé  une odeur de charbon de bois, ce qui m'a aussitôt fait saliver. 

Cette odeur si caractéristique m'a transporté en un clin d’œil à Cat Ba au Vietnam, il y a une vingtaine d’année. Au matin, les effluves du charbon embaumaient les rues. La vie s'activait.
L’idée de leur café matinal un peu trop sucré mais tellement réconfortant aidait déjà à appaiser mon état comateux. 

Ils le préparaient sur un feu de charbon et savaient bien cultiver le désir. J’avais l’impression que l’attente pour enfin tenir dans ma main ce liquide chaud et savoureux était interminable. J’avais même parfois l’impression que mon café était plus long à préparer que celui des locaux (et probablement plus cher, mais bon).

Déjà, j'étais conditionné à vouloir tout, vite. Parce que attendre, je n'en avais pas le temps.

Aujourd’hui je me rends compte que les souvenirs que j’ai de ces matins ne sont nullement rattachés à la lumière du matin, au nom de celui qui me préparait mon café, au sourire des passants ou encore à la couleur des fleurs en bord de route. 

Outre le goût du café, mon seul autre souvenir demeure l’attente. C’est bien dommage, peut-être qu’une expérience de confinement avant le voyage m’aurait permis d’apprécier tout le reste à sa juste valeur. Peut-être même au point d'oublier ce pourquoi j’étais descendu dans la rue.

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Ce que nous vivons au printemps 2020 nous aura tous un peu changé. Dans ce chapitre de notre vie où on a l’impression de contrôler beaucoup moins de choses qu’avant, elle est peut-être là la plus belle leçon: s’apercevoir que le temps qu'on a dans une journée, c'est précieux.

C'est aussi facile de le gaspiller. Rêvasser, par un matin gris, à sirotter un café chaud en regardant pas la fênetre, n'est pas perdre son temps, c'est le vivre.

Prendre le temps de déguster un vin, d'en apprécier les arômes, d'être surpris par sa texture, de chercher des accords vins et mets possibles, fait aussi partie des plaisirs de la vie. 

En posant mon nez dans mon verre de Picpoul hier, alors que le soleil réchauffait l'âme, j'ai eu l'impression que la vie me souriait. L'Ormarine, ce vin blanc sec, affichait des notes de citron, de fleurs blanches et de craie à tableau.


Pendant qu'un Junco ardoisé ratissait la platebande, les arômes floraux et fruités aussi valsaient en bouche. L'accord soleil fraîcheur était à point. Facile sans manquer d'un certain volume, ce blanc était parfait pour l'apéro sans se limiter à cette option. 

C'est alors que je me suis mis à rêver de homard et que, le temps de penser à des recettes possibles, mon verre était vide. Pendant que j'analysais les arômes, je me suis rendu compte que ça fasait une éternité que je ne m'étais attardé à faire cet exercice en m'y consacrant pleinement. 

Le coeur léger, le sourire aux lèvres, j'y étais arrivé.

J'avais pris le temps. Merci d'avoir pris le vôtre pour vous rendre jusqu'ici.

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