dimanche 3 mai 2020

Le train - voyager intérieurement

J'ai grandi à Pointe Saint-Charles, dans le Sud-Ouest de Montréal, un quartier ouvrier où des paysans irlandais ayant fuit la Grande Famine s'y sont établis. Ils auront entre autre contribué à creuser le Canal Lachine.

Ceux qui viennent du coin vous le diront tous, le train fait partie intégrante du paysage urbain, tant visuel que sonore. Impossible d'y faire abstraction quand tu habites ici, le grincement strident, les wagons qui s'entrechoquent, le coup de frein, le sifflet. 

Plusieurs types de trains passent par ici. Certains transportent des passagers, mais plus souvent ce sont des trains de marchandises composés d'une variété impressionnante de wagons. Il servent de transport mais aussi de support pour les esprits créateurs d'art de rue. Alors que certains graffitis sont simplets, d'autres tiennent du chef d'oeuvre artistique.

J'ai toujours aimé les trains, tant y prendre place que les regarder passer. C'est toutefois lors de mon premier voyage en Europe en 1999 que j'ai saisi l'ampleur de la beauté que pouvait procurer un voyage en train. Pour la première fois, j'expérimentais la joie d'être de l'autre côté de la fenêtre. Plutôt que de voir défiler les wagons, ce sont les paysages qui sous mes yeux se succédaient.

Des vallées verdoyantes, des montagnes à l'horizon et des troupeaux d'animaux qui broutent. Des forêts, des cours d'eau et les ponts qui les traversent. Des enfants qui envoient la main, des voitures qui attendent que nous soyons passés et des fleurs de toutes les couleurs qui oscillent dans le vent. Des toits orangés en terre cuite, des nuages floconneux et des clochers d'église visibles de loin. Un festin visuel sans cesse renouvelé, bien installé sur une banquette.

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L'ambiance de la gare mérite qu'on s'y attarde un moment. Des tas de gens, qui viennent de partout convergent en ce lieu. Des gens pressés et d'autres qui tuent le temps. Des habitués alors que certains cherchent leur chemin. Des gourmands qui profitent de la halte pour casser la croute. Des retrouvailles et des gens qui s'embrassent après tout ce temps sans s'être vus. Des larmes d'amoureux qui se quittent pour ce qui leur semble déjà une éternité. Une effervescence très divertissante pour l'observateur analytique que je suis. 

La gare est l'épicentre d'une multitude de possibilités, le noyau d'une étoile aux branches infinies.
Qui n'a jamais imaginé changer d'idée à la dernière minute pour aller vers une destination imprévue?
Chose certaine, ce n'est pas le choix qui manque. Et comme il y a du beau partout, le mauvais choix n'existe pas.

Nous ne sommes pas prêts de pouvoir voyager physiquement, mais il existe plusieurs façons de se transporter ailleurs. Les rêves sont gratuits et toujours possibles. Avoir la tête ailleurs n'a jamais été aussi pertinent et salutaire. Alors que tout est permis dans l'imaginaire, laisser valser ses idées allège le quotidien. Réflexions et introspections font également cheminer, nous permettant de nous découvrir chaque jour un peu plus. De retour de l'autre côté de la fenêtre, observant les trains qui se succèdent jusqu'à nouvel ordre, les voyages intérieurs deviennent une solution intéressante à exploiter.

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On peut aussi voyager par la bouche. À cette ère où l'achat local justifié reprend lentement ses lettres de noblesse, nous avons tout de même la chance de bénéficier de produits qui viennent de partout dans le monde. Les épices disponibles dans les supermarchés et dans les boutiques spécialisées nous permettent de voyager dans nos assiettes. Du poulet au beurre, à la taboulé en passant par le pad thai, les fajitas et les patties jamaicains, un monde culinaire infini est à notre portée.

Le vin aussi nous fait voyager. Des centaines de cépages différents, des climats variés, des sols riches en minéraux, des techniques de vinification, des calendriers lunaires, des séjours en fûts sont autant d'influenceurs sur ce fruit magnifique qu'est le raisin, lui permettant de se vêtir d'une expression toute spécifique. 

Du voyage en bouteille, ça existe. Rapporter un vin dans ses valises permet, le jour de son ouverture, de revisiter le pays qui nous a accueilli, de revivre un moment passé avec des amis, de se transporter l'espace d'un instant à l'autre bout du globe. La mémoire olfactive est puissante. Les arômes d'un vin sont associés à des odeurs qu'on se rappelle: la confiture aux fraises de grand-mère, les clous de girofle dans les boulettes à Noël, le crayon de plomb fraîchement aiguisé, l'air salin de la mer. La combinaison des souvenirs est sans fin lorsqu'on plonge le nez dans un verre.

J'ai visité le Piémont, région du nord-est de l'Italie, en 2013. J'en garde encore aujourd'hui des souvenirs aussi vifs qu'heureux. Surtout reconnue pour ses vins rouges issus du cépage nebbiolo comme les Barolo et Barbaresco, c'est ici un blanc dont il est question. Doté d'une belle amplitude, le Gavi del Comune di Gavi de Villa Sparina a tout pour plaire. Droiture, longueur, volume, richesse, minéralité. Comme une caresse en bouche, il ne manque pas de matière. Des arômes de fruits exotiques n'empêchent pas la perception de la minéralité et sa finale persistante est supportée par une belle fraîcheur. En voyageant dans mes souvenirs, je me remémore les accords de circonstance avec les agnolotti au veau et champignons avec beurre de sauge et le classique vitello tonato.

Accrochons-nous à ces souvenirs, le temps que la crise passe. Revisitons nos rêves de voyages, parce qu'un bon matin on se réveillera et le train repartira. C'est alors qu'à bord, le sourire aux lèvres et le coeur léger, nous irons matérialiser nos idées et mettre la table pour de nouveaux souvenirs.

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Ce vin est actuellement vendu en importation privée chez Select Vins, mais voyagera jusque sur les tablettes de la SAQ dès Novembre 2020.

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